Décidément la trilogie Hôtels-Clients-OTA n’a pas fini de faire parler d’elle.

Les nombreux reportages et articles sur le sujet des réservations en direct ou via des intermédiaires semblent avoir commencé à modifier considérablement le sens de ces relations consommateurs-hébergeurs. En voici quelques exemples :

• Vengeance des hôteliers ?

38 % des clients d’hôtels redoutent ou ont déjà eu l’impression (ou fait l’expérience) que les hôteliers se vengeaient sur les clients passés pour leur réservation de chambre par Booking ou ses concurrents.

On leur attribuerait de mauvaises chambres, mal orientées, des chambres non rénovées, des chambres parmi les plus petites de l’hôtel, etc.
Evidemment, si les clients s’en aperçoivent — et ils peuvent aisément s’en rendre compte sur place —, l’hôtelier ne gagnera qu’un mauvais avis sur Internet. D’autant que les OTAs relancent (jusqu’à cinq fois) les clients passés par eux pour qu’ils remplissent un formulaire d’après-séjour. Punis deux fois : en payant une forte commission et en ramassant un mauvais commentaire qui sera lu par d’autres clients potentiels…

• Le moins cher ? Le fait que la plupart des OTAs annoncent systématiquement « vous avez obtenu la chambre la moins chère dans cet hôtel », alors que beaucoup de clients ne l’ont pas spécialement demandé au moment de réserver, crée également la même crainte chez les clients qu’évoqué ci-avant : recevoir une chambre sordide, même si dans les faits, cela ne se révèle pas concrètement. Si les clients ont pour premier critère le prix quand ils choisissent un hôtel (études par Coach Omnium), ils ne sont pas majoritaires à être des chasseurs de primes. Mais ils le deviennent quand on leur ouvre la porte sur de possibles négociations (voir plus loin). En somme, le client débarque dans l’hôtel avec sa réservation en ayant un mauvais a priori, ce qui ne facilitera pas d’emblée son rapport avec l’hôtelier …jusqu’à ce qu’il découvre la chambre attribuée, avec une bonne ou une mauvaise surprise.

• Sous-clientèle ? Les hôteliers, à tort ou à raison, voient de plus en plus les clients passés par les OTAs comme une mauvaise affaire. Non seulement, cela les oblige bien sûr à payer une lourde commission et rogne leur marge, mais en plus ils trouvent que les « bookinistes » (clients passés par Booking et par les autres OTAs) ne consomment pas assez chez eux en restauration, voire sautent même le petit déjeuner. Les clients, précisément, ne passeraient-ils pas par une OTA juste parce qu’ils ne veulent qu’un hébergement sec ? Ce ne sont pas les agences qui provoquent ce comportement d’achat mais les clients eux-mêmes dans leur projet d’hébergement.

• Influence des reportages et articles sur la réservation en direct ? On l’a compris, les médias veulent protéger le village gaulois des hôteliers indépendants contre l’envahisseur cupide et dictatorial que représentent les OTAs. On aime aider les faibles et les opprimés en France. Cela part d’un bon sentiment. Ces médias (TV, radio, presse) régalent leurs lecteurs et téléspectateurs sur ce sujet depuis près de deux ans. Très bien.
Sauf qu’à force d’encourager les voyageurs à appeler l’hôtel en direct pour réserver et en montrant dans les reportages comment demander un avantage à cette occasion, les clients d’hôtels commencent lentement mais sûrement à systématiquement exiger leur petit cadeau (surclassement ou meilleure chambre, petit(s) déjeuner(s) offert(s), tarif spécial, etc.) en menaçant sinon de passer par une agence de voyages en ligne ou plus logiquement d’aller voir ailleurs.
On connaissait la chantutation (chantage à l’e-réputation en attente d’une contrepartie), on connaît à présent le MHDD (marchandage hôtelier direct décomplexé) ! Certes ces petits « plus » coûtent moins cher à l’exploitant qu’une commission à 15 % ; mais est-ce si vrai que cela ?
On en est arrivé au même phénomène massif connu dans les ventes de voitures avec les fameuses options offertes, condition sine qua none pour acheter. Autrement dit, la généralisation de l’avantage donné au client — et plus forcément au seul fidèle bien plus méritant — est en train de s’imposer sourdement sans que les hôteliers ne puissent réellement résister quand leur planning tourne de l’œil. Ils doivent offrir quelque chose comme au souk, sauf que là, c’est culturel. Bref, on paie pour avoir des clients quoi qu’il arrive. Déjà, le téléphone devient gratuit (il est vrai, grâce aux forfaits très avantageux des téléphonistes), ainsi que le Wifi pour lequel aucun client n’accepte désormais l’idée de payer.
Quant au client, il va bientôt avoir le sentiment de s’être fait avoir en réglant le prix normalement affiché et va se sentir devenir « loser » parce qu’il n’a pas demandé une ristourne ou un geste à l’hôtelier. Etre un consommateur dans le coup aujourd’hui, c’est être plus malin que le fournisseur. Le comportement d’achat du particulier n’a plus rien à envier à celui des grandes entreprises qui mettent forcément en concurrence et qui négocient à tout va. Ça c’est nouveau dans la sphère de l’hôtellerie.

Les sujets traités par les médias, en se posant en défenseurs du sort des hôteliers, ne sont donc pas forcément si innocents ni si bénéfiques que cela pour les professionnels ; ils finissent par pervertir la relation client-hôtelier. Car on a oublié que les médias travaillent avant tout et dans l’intérêt de ceux qui les lisent, les écoutent et les regardent : les consommateurs. En leur donnant des ficelles et des astuces pour faire baisser les prix, ce que les hôteliers avaient vu comme une aubaine quand on parle de leurs difficultés, en devient un cadeau empoisonné.
Cela doit faire réfléchir. Ces derniers se retrouvent au final assis entre deux chaises avec le souci d’en perdre le moins possible, au lieu de pouvoir espérer gagner plus.
En définitive, les deux grands gagnants dans cette relation à trois sont en premier les clients. Mais sans cela, rien ne fonctionnerait. Puis les OTAs, mais ça, on s’en doutait un peu. Quant aux hôteliers, ils sont coincés et écartelés entre leurs prix que 3/4 des voyageurs trouvent trop élevés, leurs charges qui ne cessent d’augmenter sans que le chiffre d’affaires suive significativement, la para-concurrence qui ne demande qu’à récupérer leurs hôtes et leur presque totale perte de maîtrise de leur commercialisation, prise en otage par des intermédiaires extrêmement bien outillés et plus efficaces qu’eux sur ce registre.
A cela, il faut ajouter que si 7 clients sur 10 réservaient leur hébergement il y a encore une dizaine d’années, ils sont 95 % à le faire aujourd’hui. Avec le risque accru de la négociation et du marchandage qui déstabilisent franchement les hôteliers.

• La solution ? Reconquérir les clients en direct, bien sûr, et valoriser sa prestation. On enfonce par là une porte déjà largement ouverte, mais existe-t-il d’autres moyens ? Un client fidélisé est plus facile à traiter, à satisfaire et représente un chiffre d’affaires constant. Fidéliser se fait avant tout par une offre de qualité et pas par des artifices d’agences de publicité. Il reste donc beaucoup de travail à réaliser pour que les mauvaises habitudes que prennent les clients s’inversent.